Je ne suis pas venu par ici depuis plusieurs mois déjà. Le temps me manque malgré l’envie et les mots qui fusent dans mon esprit. Mes notes se laissent aller dans le flot de l’existence comme une feuille au Vent.
Ma vie a été un peu bousculée, un peu chavirée ces derniers temps. Je voulais juste laisser ici dans cette clairière inhabitée une infime part de mon existence.
Un jour peut-être passeras-tu par ici ; tu sauras que mon Amour s’écrit chaque jour dans cette clairière qui fait partie de moi. Je te laisse ce poème un peu comme un bouquet de fleurs.
Te souviens-tu de ce concerto pour violon désaccordé de Vivaldi ? Te souviens-tu de nos éclats de rire la nuit lorsque nos mains se touchaient et que nous nous regardions dans les yeux ? Emporte cette musique et ce poème dans ton cœur.
« Ta pudeur candide m’émeut.
Dans tes yeux ces étoiles m’emportent vers un horizon lointain et inconnu.
C’est un rivage incertain, baigné d’une tendresse belle et bleue, douce et impalpable dont le souffle fait vibrer mon âme. Je scrute dans ton regard mon reflet qui s’absorbe dans une absence magicienne.
A travers toi, je m’éveille.
Mon Cœur enfermé dans un mutisme égoïste écoute enfin la résonance du monde.
Auprès de toi je me sens vivre.
Parfois, lorsque mon esprit, tel un nuage vaporeux, se dissipe à travers l’azur, je ressens cet Amour poignant illuminer mes Rêves.
Ta seule présence parvient à combler le vide infini de chaque heure perdue et transforme l’attente incertaine en Désir voluptueux.
Tes yeux et ton visage parlent un langage muet, un ensorcellement hiératique, une respiration divinatoire.
Le souffle de ton infini intérieur fait naître en moi une fontaine d’encre, sang du Verbe, sur le désert de la page blanche. Mon cœur de papier s’embrase subitement à chacun de tes éclats de rire.
Les pleins et les déliés de mes sentiments s’écrivent comme des signes incandescents, de manière indélébile, sur la page de mon cœur.
Je t’aime. »
Je vous laisse évidemment la petite musique de nuit qui s’accorde à ce poème et qui possède en moi une charge émotionnelle incommensurable.
Vivaldi, Concerto pour violon désaccordé
Il est tard ce soir, cela fait tellement longtemps que je ne suis pas venu ici!
L’omniprésence du soleil dans le ciel me fait penser au titre de cette clairière littéraire. Le chemin vers les nuages est probablement quelque part entre les émotions, les rencontres, les mots et les sourires échangés. Paul Valéry parlait dans un poème du cimetière marin qui surplombe la ville de Sète comme un phare perdu entre le bleu du ciel et les ondes marines.
C’est en ce moment, au coeur de l’été, entre l’azur immaculé et le silence des vagues étales, que le soleil immense semble flamboyer et nous irradier de ses rayons les plus éreintants. Les jours d’été apportent cette chaleur écrasante, étouffante; ils nous abandonnent dans une torpeur qui nous poursuit jusque tard dans la nuit, alors même que le soleil s’en est allé depuis de nombreuses heures. Toute vigueur évanouie, il ne subsiste alors en nous que cette chaleur harassante accumulée, ce trop-plein d’énergie solaire que nous avons absorbé avec une résistance molle.
C’est bien plus tard, vers minuit, lorsqu’une brise nocturne vient nous rafraîchir et nous vivifier que nous ressentons la température de nos corps exsuder, s’extraire docilement de nous en laissant cette fragilité de la chair chaude et cette langueur des émotions, impalpables mais encore tellement prégnant en nous. C’est pendant ce moment indolent où les nuits d’été nous caressent, où la plus légère variation mélodique nous frôle, que la musique dévoile son langage le plus secret, dans une variation infime.
Nous ressentons en nous, à travers nous, l’évanescence de la vie et des émotions. Comme un souffle chaud ou un baiser du bout des lèvres, cette respiration musicale nous amène à voir et à ressentir sa couleur à travers la nuit. Derrière cette chaleur au goût salé, saluée par une brise nocturne, nous percevons la couleur du jazz l’été.
Je vous abandonne ce soir dans la fraîcheur de cette brise musicale.
Je suis dorénavant très peu présent dans cette clairière littéraire et musicale car je vis entre deux mondes, dans le rythme des banlieusards qui partent au travail tôt le matin et rentrent le soir dans la lourdeur du trafic plein de colère et d’agressivité et ce monde interdit sur lui-même où quelques âmes vagabondes se rejoignent parfois par la pensée et la magie de la fibre optique.
Dans mon nouvel habitat je n’ai pas encore internet. Cela semble être une thérapie, une forme de sevrage. Je m’occupe de choses et d’autres sans penser à vérifier mes emails de manière compulsive. Je ne me couche plus à des heures totalement indues mais minuit ou 1 heure du matin sont des heures plus que raisonnables.
Je n’ai simplement pas le temps de passer sur le blog alimenter mes notes ni venir lire d’autres pensées ou mots perdus. Ce que l’on écrit sur internet est toujours un peu comme une bouteille à la mer, un cri perdu dans une vallée incertaine, un regard dans les steppes qui embrasse l’infini des paysages.
Je reviendrai probablement lorsque j’aurai retrouvé mes habitudes dans quelques semaines. D’ici là, je laisse la nature reprendre ses droits dans cette clairière qu’est mon blog. Les herbes folles grandiront en prenant le plus de place possible, jusqu’à recouvrir les ornières des sentiers qui arrivent jusqu’ici. Peut-être certains y laisseront quelques traces. D’ici là, quelques fleurs auront probablement germé dans mon esprit et je reviendrai vous en rapporter quelques brins à l’orée de cette clairière.
Je vous laisse ce soir avec un groupe dissous dont la chanteuse possède un charisme et une voix extraordinaires. C’est un album autoproduit avec une richesse musicale incroyable, de nombreuses influences à la sensualité envoûtante et dont voici le résultat en extraits sonores. C’est une perle désormais introuvable. Une couleur musicale proche de la scène, de la chanson live des bars où l’on touche du bout des doigts les instruments et où on sourit parce que le chant, les paroles et la musique nous touchent infiniment. Je vous laisse deux chansons à mi-chemin entre le désir et la nostalgie. Des chansons riches dans le cœur du nomade que je suis intérieurement et qui forgent mon univers imaginaire à la lisière de plusieurs réalités.
Ginkobiloba : Yo vivo por la montana
Ginkobiloba : La Llorona ( à écouter sur Youtube)
Si vous trouvez le cd, je vous invite à écouter le morceau qui s'intitule, La Llorona de Candolle.
Il y a une dizaine d’années en arrière, je vivais en Irlande, au cœur de la capitale celte entre l’ancienne distillerie Jameson et le plus vieux pub de Dublin, non loin du fameux « Phoenix park ». J’aimais cette vie dans cet univers jovial, pleine de vie, en pleine effervescence. Dublin était alors une métropole en plein changement. Cette ville, à ce moment précis, avait le charme des bourgades qu’on ausculte par la grâce de la marche à pied, avec la nonchalance d’un voyageur qui découvre son nouvel environnement. Arpenter les berges de la rivière Liffey, arriver jusqu’au cœur de la ville sur le pont qui scinde Dublin en deux zones distinctes était un plaisir de promeneur solitaire. Dublin est une ville au charme indéniable.
C’était un lundi soir, une soirée improvisée au sortir du bureau, une soudaine envie de boire une pinte de bière et d’écouter de la bonne musique. C’était une cave de jazz, enfouie dans le sous-sol d’un pub, dont l’entrée était engoncée derrière un lourd rideau de velours rouge et vers lequel on accédait au détour d’un long escalier coudé qui descendait vers des accords de musique incertains. La pénombre s’attachait doucement aux habits au fur et à mesure que les pas s’enfonçaient vers ce lieu improbable. Quelques accords dans l’air, des notes s’élançaient en sourdine dans l’obscurité pendant que le regard tentait de s’accrocher tant bien que mal aux derniers traits de lumière. L’endroit s’appelait le « Renard’s ».
Il y avait à la carte un choix judicieux de boissons en tout genre et quelques mets à savourer sur le pouce. A notre bonne surprise, des bouteilles de Chablis et du Chablis 1er cru ! A 3 convives, nous prîmes 2 bouteilles du cru bourguignon. Je me souviens d’une ambiance intimiste et feutrée, des rires amicaux et des vies racontées dans la demi-teinte de cette pénombre musicale assis dans des canapés moelleux qui jouxtaient le piano et faisaient face à la scène.
Parfois, à l’écoute de cette reprise de « You’ve got a friend » par Stacey Kent, je retrouve la douceur et la chaleur de ces soirées, la convivialité du rire autour de quelques verres partagés avec des proches. Pour moi, le lundi soir est définitivement synonyme de soirées jazz. Parfois, j’écrirai une note à consonance jazzy ou soul le lundi soir sans qu’il y ait de régularité ni d’habitudes qui s’installent. Juste pour le plaisir.
Je vous emmène ce soir écouter une voix dont le grain rappelle les soubresauts de l’adolescence. Ses mots incombent au panache de ceux qui pensent librement. Lorsqu’on est jeune on s’affranchit de tout interdit, on brave la mort pour se sentir vivre pleinement, intensément, éternellement! A vingt ans, on se lève pour attraper ses rêves à pleines mains.
Si l’Amour, le Rêve et l’Absolu guident nos pas dans cette quête, les émotions et les déchirures de notre enfance forgent également notre être. Nous apprenons avec nos fêlures et nos égarements à devenir nous-mêmes.
Avec sa voix fragile et des textes à fleur de peau, la musique de Damien Saez est comme une écorchure à l’âme, des coups portés à l’enfant qu’il est au plus profond de lui-même. La musique de Damien Saez respire le panache et la désinvolture de l’adolescence.
Saez, "S'en aller"
Saez, "Ceux qui sont en laisse"
Nous avons le même âge et vécu dans la même ville. Nous avons peut-être écumé les mêmes bars, foulé les pavés des mêmes rues, arpenté les mêmes nuits, alors je me sens proche de ses paroles...
Ce soir, je m’écarte quelque peu de ma série de billets sur « L’âme des instruments » pour écrire un instantané, un polaroïd de ma vie à cet instant précis. Je reste cependant dans l’ornière de ces notes au cœur musical, à l’âme sensible, que j’aime laisser comme des traces de pas dans la neige ou comme des petits cailloux que je sème avant de partir en direction de la forêt. En marge de mes pensées que j’organise au fil de l’eau sur mes instruments de prédilection, je voulais retranscrire ce soir une émotion éclair, comme une image mentale que l’on pourrait conserver quelque secondes dans son esprit avant que celle-ci ne disparaisse complètement et que l’on ne gardera que pour soi, dans son for intérieur, dans les méandres de ses souvenirs.
Le violon tel que je l’ai évoqué dans le billet précédent est un instrument sublime, riche et fécond. C’est un instrument tellement imposant dans mon esprit que je décide de poursuivre une nouvelle note sur lui pour en explorer encore un peu plus son existence, son histoire, aller dans le cheminement de sa réalité à travers ce billet. De cette façon, je décide d’ouvrir une brèche, de faire une parenthèse dans le temps, ou, musicalement je réalise un soupir, en écho à ma dernière note. Je projette ce soir une vision éclair, précise et fusionnelle que j’ai eu à l’écoute de cet instant musical entre deux mondes, là où les particules s’envolent en l’air, où l’âme se laisse transporter.
Chaconne de Vitali Version intimiste et vibrante avec piano!
"Quelque part, dans la pénombre d’un salon, d’une bibliothèque, dans l’inertie d’une nuit d’hiver sans fin, la respiration vibrante et électrique d’un violon en éruption. Un instrument énergique et compulsif qui déchaîne les particules de poussière endormies dans la préciosité silencieuse de mes livres. Partout autour, des photographies noir et blanc, des bibelots épars et des objets sans âge, d’où, subrepticement surgit une lamentation infaillible, une plainte, une passion agonisante qui se dissout dans mes oreilles et meure d’une langueur sans nom avec une délicatesse étourdissante.
L’âme se fracture, l’émotion se cristallise, le cœur tressaille.
Le violon de Sarah Chang joue la chaconne de Vitali !
Son violon s’envole comme sur les ailes de la passion, pendant que certaines trilles me dévorent le bas-ventre, me figent les doigts, me pétrifient littéralement. Le souffle coupé, je laisse la voix du violon me parcourir intensément dans un ultime soubresaut chaotique. Le piano alerte du début nous parle d’un monde réel, d’un univers tangible qui glisse peu à peu dans cette brèche que le violon semble décrire et façonner.
Au début, le violon semble trop enfermé dans son univers confiné et recherche une oreille attentive, un autre cœur pour s’épancher, une âme qui le délivrerait de son enfermement. Par instant, le violon virevoltant de Sarah Chang m’entrouvre une possibilité comme au tout début du morceau mais l’appel de cette sirène intérieure a été bien plus fort, bien plus violent, bien plus séducteur. C’est une chimère ! La voix de Sarah Chang, son violon, est comme un baiser, une caresse, une passion dévorante. Je me laisse saisir, happé dans cette étrange communion sentimentale et physique. J’encaisse avec une certaine incompréhension cette ténébreuse lumière. Le hoquet de sa musique m’emmène dans une dimension complètement hors du monde, à la limite du réel. Les émotions s’entrechoquent, les idées s’écrasent, se percutent et se répercutent dans tout mon être. Ses derniers coups d’archet sont comme un souffle ultime avant le grand voyage vers l’au-delà. Une dernière vision de beauté avant l’extinction des feux ! Une délivrance insoupçonnée, un retour à la réalité…"
*****
Voilà, j’ai ressenti le besoin d’écrire cette note ce soir, de partager ce moment de fébrilité, avant de continuer sur la série « L’âme des instruments » un peu plus tard avec un autre instrument que j’aime… J’espère que vous apprécierez son aspect brut, instantané et rugueux. Cette version accompagnée au piano est bien plus belle musicalement que sa version avec orchestre (visible ci-dessous) même si la qualité vidéo est relativement pauvre.
Version avec orchestre : certains passages sont sublimes! (surtout dans la seconde moitié)
Isolez-vous pour écouter ce morceau, soyez seuls, dans la nuit, que personne ne vienne vous déranger à l’écoute de ce morceau, vous ressentirez les palpitations du Cœur qui est l’âme du violon (comme je le disais dans ma dernière note) et contre laquelle le piano s’oppose magistralement pour en laisser ressortir toute la lumière et les ombres.
Je vous souhaite une très bonne nuit et une bonne écoute.
En contrepoint à la première note de clavecin initiée pour cette série de billets, je voulais vous faire entendre l’âme du violon, telle que je la perçois, telle que je la ressens. Le clavecin vient habituellement jouer sa partie continue dans un morceau de musique baroque, en soutien à un instrument moins mécanique et plus vivant, plus émotionnel qui vient prendre la voix principale comme un violon par exemple. A l’opposé de la mécanique que j’ai qualifiée de minérale dans ma première note à propos du clavecin, la voix du violon se détache comme pour s’opposer à cette voix mais dans un registre harmonique, mélodieux afin de rappeler l’existence de l’émotion à l’intérieur de toute force. La voix de l’instrument qui joue la mélodie est avant tout la Vie ; c’est un vibrato, c’est une vibration existentielle. Comme une ligne invisible, un fil tendu dans l’espace du cœur, son retentissement nous anime.
L’âme du violon, c’est le Cœur.
Entre son corps fait de bois et sa voix surgie de la vibration des cordes animales, le violon possède une âme humaine. Son langage s’articule du souffle le plus léger à la plainte, au déchirement le plus langoureux, c’est un langage symbolique qu’on ne peut déchiffrer qu’instinctivement. La capacité de langage du violon est comme la capacité du cœur à absorber et à donner sans condition.
Pour illustrer ces quelques élans du cœur, je souhaitais partager avec vous ces instants précieux, ces extraits qui font que j’aime la musique baroque et en particulier la musicalité du violon. Biensûr, il y a tellement de morceaux que j’aime que je pourrai vous proposer dans cette note mais j’ai fait un choix restrictif, qui, je l’espère, vous permettra de saisir cette évocation.
La tristesse du cœur.
Ce morceau joué par Mathieu Camilleri sur une Variation de Tartini (je vous ai déjà parlé de Tartini il y a quelques temps en arrière dans cette note) est comme la complainte d’un cœur qui souffre, un cœur éprouvé, dévasté par le chagrin, l’hébétude et le désarroi.
Au début du morceau, des sanglots graves tel un surgissement de souvenirs venus du plus profond de l’âme parviennent à un état de dilatation extrême et de tension émotionnelle trop intense. Le cœur palpite. Graduellement, tout se mélange, la tristesse, l’incompréhension et le désappointement. Le cœur est complètement submergé, noyé. Arrive alors l’éclatement total des sentiments jusqu’à ce que les trilles du violon déchirent les aigües dans des larmes poignantes. Les coups d’archet se font de plus en plus violents comme des sanglots que le cœur ne parviendrait pas à réprimer, jusqu’au point où le vertige de l’émotion n’arrête plus cette hémorragie de sentiments. Puis, juste à la fin, un court silence, comme une respiration, vient traverser cette lamentation, apaiser cette tristesse infinie. Une note seule, limpide, tenue, s’échappe alors comme un éclair de lucidité, une vérité ultime. Le cœur se redresse, rasséréné et s’élève d’une voix plus sûre dans un silence apaisé.
La légèreté des sentiments.
Le cœur humain est le reflet de nos émotions. Nos pensées sont affectées par ce qui nous entoure, par la Nature, par notre environnement. Le violon, comme un jaillissement de rires ou de pleurs peut évoquer avec une ressemblance étourdissante les changements des saisons qui nous assombrissent le cœur ou nous éclairent d’une lumière bienfaisante. Vivaldi a exprimé avec une virtuosité étonnante le cycle des saisons à travers son œuvre la plus illustre et la plus harmonieuse. Il a su représenter avec une énergie élémentaire, le temps qui passe, le cycle de la nature et des choses. La totalité des Quatre Saisons est à écouter avec une attention particulière pour qui souhaite entrer dans le cœur de la musique baroque, mais je ne laisserais ici qu’une trace partielle de sa magie, de son mystère, et vous proposerai sans doute d’autres morceaux plus rares de Vivaldi dans un billet futur.
Ici, chez Vivaldi, au milieu de l’Hiver, on retrouve ce deuxième mouvement, ce largo étonnant dont je souhaitais souligner à la fois la finesse et la beauté. La force de ce morceau enchanteur réside dans les pizzicati qui évoquent, à mon sens, des flocons de neige qui traversent le ciel et nimbent de leur pureté l’univers tout entier et de leur opposition à la voix unique du violon, comme un Vent venu de nulle part. Dans cet univers floconneux et doux, surgit cette brise délicate et insouciante qui traverse le temps et l’univers dans une espèce de sourire intérieur. Cette brise nous transporte, nous élève comme si nous étions nous-mêmes un de ces flocons de neige emporté dans le sillon de ses volutes et de son Voyage intemporel. J’aime beaucoup cette interprétation délicate et revigorante. Il y règne une inventivité baroque et créatrice que j’aime ! L’air du violon est guilleret, léger comme ce vent malicieux qui s’engouffre à travers le froid et nous emporte. La musique du violon est limpide, incisive et détachée! De plus, j’aime ce sourire intérieur qu’affiche la violoniste Elisa Citterio. J’ai le sentiment de partager avec elle le secret de cette musique, de comprendre toute la légèreté du monde et l’universalité du cœur en l’écoutant jouer du violon.
En ce qui concerne l’Hiver de Vivaldi, je ne peux m’empêcher de partager avec vous une autre version jouée par Anne-Sophie Mutter qui est une violoniste exceptionnelle et dont le vibrato transcende le violon et ce largo de Vivaldi en particulier. Dans cet extrait, Anne-Sophie Mutter, en digne héritière de son Maître spirituel, atteint un des sommets de l’émotion. Elle fait vivre le violon, libère toute la charge émotionnelle de cet instrument dans une rare et éblouissante intensité graduelle. Ecoutez, au début du morceau, le fil du violon venir de loin jusqu’à nous parvenir doucement et nous traverser intégralement. Vers 1’00, Karajan attend. Il écoute et il attend. Il a entendu la circonvolution du Vent dans l’air, il a entendu ce Vent venir de très loin, puis, précisément à 1’20, il le regarde droit dans les yeux et se laisse emporter par sa puissance. Le quart de sourire qu’il esquisse et la lumière qui apparaît dans ses yeux lorsqu’il lève le regard à ce moment là en dit bien plus long que tous les applaudissements de la terre sur son sentiment. Enfin, soit nous nous envolons avec le Vent, dans son énergie pleine de grâce comme le fait le cœur de Karajan, soit nous retombons inertes, pauvres flocons, dans un dernier sursaut vers la terre en voyant le Vent s’échapper dans une dernière note qui s’estompe. J’adore cette version de Mutter pour ce qu’elle dégage en émotion de manière insoupçonnée et pourtant tellement maîtrisée, mais, afin d’illustrer parfaitement cette note dans son intégralité, mon choix se porte en priorité sur la première version qui offre une vision plus juste de Vivaldi, un meilleur aperçu de l’âme de la musique baroque, de son inventivité et de sa fraîcheur. Mais vous pouvez écouter les deux, faites vous plaisir !
L’harmonie des émotions.
Si, à mon sens, le violon est l’instrument qui représente le mieux le cœur humain avec ces vicissitudes, ses tourments mais aussi son énergie, sa beauté et sa passion, alors, la rencontre de deux violons dont les ondes s’accordent, ne peut être qu’une rencontre harmonieuse. Dans la musique baroque, Bach et Vivaldi se sont mutuellement inspirés, l’un apportant sa vision éclairée, lumineuse d’une musique divine et éthérée, quand l’autre apporte une couleur plus intime, plus humaine et plus chaleureuse. Chacun, dans la filiation de sa propre musique nous apporte quelque chose d’universel et de personnel. Il est donc normal qu’après vous avoir fait écouter Vivaldi, je vous fasse écouter Bach. Celui-ci nous a ainsi laissé un morceau d’une limpidité extraordinaire, touchante et harmonieuse. Dans ce morceau, je perçois la voix de deux cœurs qui se cherchent, s’apprivoisent et s’élèvent mutuellement. C’est la rencontre de deux cœurs amoureux dans une harmonie si parfaite que tout ce qui en découle autour est naturellement Beau. Lorsque l’un s’envole, l’autre le retient, lorsque l’un retombe, l’autre le soutient dans un passionnant jeu d’équilibre fait d’élans, de retenue, de volutes et de virtuosité. En écoutant ce duo de violons, on ne peut que comprendre à quel point le violon représente le cœur. On ressent enfin la part d’Infini qui sommeille en chacun de nous et qui s’éveille ; on ressent comment l’harmonie peut se trouver dans la plénitude des sentiments de deux cœurs, lorsque ceux-ci s’accordent sur une même longueur d’onde. Bach est ici un peu le grand architecte du cœur, Le Maître de la période baroque, l’astre autour duquel les autres compositeurs, étoiles, planètes et météores gravitent. Bach nous montre un chemin dans lequel chaque pas nous élève, chaque note nous indique une direction, et où chaque vibration nous transmet une infime part d’Absolu. Ce morceau est véritablement un apaisement du cœur, une élévation.
Cet extrait, joué par Rachel Podger et Andrew Manze, est magnifique. Leur version de ce concerto est probablement le plus connu, si ce n’est le plus beau et nous donne un superbe aperçu de la musique de Bach. :)
Voilà ! Ce billet est bien plus long que d’habitude et déroge à la ligne de conduite que je me suis fixé pour l’écriture de ce blog mais c’est pour la bonne cause. En effet, on ne peut évidemment parler du Cœur sans s’épancher un peu et puis, vous aurez compris que le violon est l’un de mes instruments préférés ! Quoiqu’il en soit, il est désormais bien tard ce soir et l’heure pour moi d’aller me coucher. Alors, je vous souhaite une très bonne écoute, et j’espère vous avoir apporté un peu de mon émotion à travers ces morceaux de musique.
Voici donc le premier billet sur l’âme des instruments qui parlera de mon attraction envers ces objets dont l’âme vibre pour notre plus grand plaisir. Ce soir, la première note de cette série décrira mon ressenti et mon inclination pour le clavecin. Je souhaitais écrire ce billet et les futurs à la manière du « Parti pris des choses » de Francis Ponge, un peu au hasard de mes envies et aussi dans l’idée d’une cartographie de mon univers sonore.
Le clavecin est probablement l’instrument le plus emblématique de la musique baroque, même si bien évidemment il n’est pas le seul à en organiser l’univers. Pour moi, le clavecin est le squelette de cette musique, autour duquel viennent se greffer le cœur et l’âme de cet art musical ainsi qu’un supplément de vie en la qualité de l’interprète. Sa sonorité est la plus caractéristique de cette époque et offre une résonance osseuse de cette période. C’est à dire qu’avec le clavecin on peut découvrir l’essence de la musique sans que celle-ci ne vous traverse le cœur.
Le clavecin possède une âme minérale.
La musique du clavecin est entière, il est impossible de faire vibrer ses notes ou de tenir et prolonger l’instant musical. De ce fait, le clavecin est en perpétuel mouvement. Ses notes sont l’articulation et l’ossature de la musique. Chaque note n’existe que par celle qui la précède et par celle qui la suit, comme les osselets qui forment une colonne vertébrale.
La virtuosité du jeu, la figure, le thème vont dévoiler tout au long du morceau la musique qui ne peut se dérouler que dans notre esprit. Il est très difficile de conserver en mémoire une mélodie jouée au clavecin car tout s’évapore, tout disparaît au fur et à mesure que les notes sont jouées. Il ne subsiste que cette articulation, ce mouvement que nous livre la voix du clavecin. Cet instrument reste entre le rythme et la mélodie, dans l’ambiguïté de l’inspiration musicale et parvient à en extraire en continu sa substance.
Je vous laisse découvrir quelques morceaux que j’apprécie et vous laisse le soin de vous accorder (ou non) à mon sentiment.
François Couperin : Les Barricades mystérieuses. Ce morceau me hante depuis mon enfance. Ce nom de « Barricades mystérieuses » m’a toujours fasciné et interpelé.
J.P.Rameau - Les Cyclopes (Rondeau) - Pièces de Clavecin (Scott Ross)
Jean Philippe Rameau - suite in G minor « L’Egyptienne ». Probablement le morceau qui illustre le mieux la note que je viens d’écrire.
Handel - harpsichord Suite No.7 in G minor (Passacaille). L’introduction est originale et met bien en valeur le reste du morceau. J’adore!
Il est l'heure pour moi d'aller dormir, alors bonne écoute et bonne nuit.
Je vous propose ce soir une petite note comme une entrée en matière sur la musique baroque, en espérant que cela vous donne l’envie de découvrir un peu plus cette musique si riche. Je vous propose de l’aborder par le biais de la littérature et d’un film dont je vais évoquer la filiation.
Pascal Quignard est un auteur dont l’œuvre fait partie intégrante de mes ouvrages de référence. J’aime en particulier l’érudition de son écriture, le fond des choses qu’il explore, les émotions qu’il extrait de l’invisible. Il va chercher derrière les apparences l’essence de notre nature et nous en conte son origine d’une manière austère presque cérémonieuse. Son œuvre est pour moi une empreinte indélébile. Dans le rythme de ses phrases et dans le frémissement de ses mots, je ressens les battements de son cœur.
J’avais déjà évoqué Pascal Quignard il y fort longtemps à la naissance de ce blog avec le livre « Les Ombres errantes ». Un livre qui est la pierre angulaire d’une œuvre plus grande « Dernier royaume » dont je poursuis actuellement la lecture. Pascal Quignard est aussi connu du grand public pour « Tous les matins du monde », le film d’Alain Corneau dont il est à la fois la source et la racine. Au départ, il s’agit d’un livre dans l’univers de Quignard ; pas forcément le meilleur à mon sens mais un livre qui nous plonge dans le mystère de la musique baroque.
Une œuvre traversante, qu’il faut avoir lu pour ressentir la musique du monde. Dans cet extrait, on ressent déjà toute la force de la musique et la profondeur des paroles. Quignard nous donne à observer les bords de notre âme au travers d’une histoire qui se répercute dans une musique oubliée. Personnellement, l’écriture de Quignard m’inspire.
En somme, tout concorde dans une harmonie mesurée.
Un passage où se mèlent à la fois la beauté des images, l’austérité de l’écriture et le silence invisible. Cinq minutes d'intense frémissement! Superbe !
Extrait : Tous les matins du monde.
Concernant la musique de cet extrait, il s’agit de la « 3° Leçon des Ténèbres » de François Couperin. Un morceau éblouissant ! En dehors de la rencontre avec l'oeuvre de Pascal Quignard, la découverte de cette musique possède une histoire propre à propos de laquelle je pourrais écrire une note entière mais je préfère laisser cette part de ma vie dans l’ombre.
Enfin, pour ceux qui souhaitent aller un peu plus avant dans ce voyage, voici le trailer du film. Certains trouveront ce film difficile à regarder car lent, dense et rigoureux. Dans un sens, ils auront peut-être raison, néanmoins je vous invite à lire le livre puis à regarder le film pour en apprécier à sa juste valeur le style de l’auteur.
Trailer : Tous les matins du monde.
Il est vraiment très tard comme d'habitude, alors bonne nuit.
Après avoir terminé mon triptyque de billets sur le Vent et les souvenirs, je souhaitais écrire une série de notes basées sur les instruments de musique. Expliquer ce que j'aime dans la musicalité des instruments, pourquoi et comment tel ou tel instrument m'affecte.
Evidemment, je pense en particulier aux instruments baroques mais peut-être que certains autres suivront et trouveront leur place. Ma seule envie sera le fil conducteur de ces notes pour ces prochains mois. J’écrirai probablement plusieurs billets au fil de l’eau qui loueront la quintessence des instruments que j’aime en conservant un titre identique.
En attendant, voici une pause musicale en forme d’interlude pour patienter, regarder les étoiles, ou s’endormir. Ceux qui connaissent mon blog à ses débuts se souviendront peut-être de cette musique puisqu’il s’agissait ni plus ni moins de la musique d’accueil!
Les commentaires récents