Je vous emmène ce soir écouter une voix dont le grain rappelle les soubresauts de l’adolescence. Ses mots incombent au panache de ceux qui pensent librement. Lorsqu’on est jeune on s’affranchit de tout interdit, on brave la mort pour se sentir vivre pleinement, intensément, éternellement! A vingt ans, on se lève pour attraper ses rêves à pleines mains.
Si l’Amour, le Rêve et l’Absolu guident nos pas dans cette quête, les émotions et les déchirures de notre enfance forgent également notre être. Nous apprenons avec nos fêlures et nos égarements à devenir nous-mêmes.
Avec sa voix fragile et des textes à fleur de peau, la musique de Damien Saez est comme une écorchure à l’âme, des coups portés à l’enfant qu’il est au plus profond de lui-même. La musique de Damien Saez respire le panache et la désinvolture de l’adolescence.
Saez, "S'en aller"
Saez, "Ceux qui sont en laisse"
Nous avons le même âge et vécu dans la même ville. Nous avons peut-être écumé les mêmes bars, foulé les pavés des mêmes rues, arpenté les mêmes nuits, alors je me sens proche de ses paroles...
Ce soir, je m’écarte quelque peu de ma série de billets sur « L’âme des instruments » pour écrire un instantané, un polaroïd de ma vie à cet instant précis. Je reste cependant dans l’ornière de ces notes au cœur musical, à l’âme sensible, que j’aime laisser comme des traces de pas dans la neige ou comme des petits cailloux que je sème avant de partir en direction de la forêt. En marge de mes pensées que j’organise au fil de l’eau sur mes instruments de prédilection, je voulais retranscrire ce soir une émotion éclair, comme une image mentale que l’on pourrait conserver quelque secondes dans son esprit avant que celle-ci ne disparaisse complètement et que l’on ne gardera que pour soi, dans son for intérieur, dans les méandres de ses souvenirs.
Le violon tel que je l’ai évoqué dans le billet précédent est un instrument sublime, riche et fécond. C’est un instrument tellement imposant dans mon esprit que je décide de poursuivre une nouvelle note sur lui pour en explorer encore un peu plus son existence, son histoire, aller dans le cheminement de sa réalité à travers ce billet. De cette façon, je décide d’ouvrir une brèche, de faire une parenthèse dans le temps, ou, musicalement je réalise un soupir, en écho à ma dernière note. Je projette ce soir une vision éclair, précise et fusionnelle que j’ai eu à l’écoute de cet instant musical entre deux mondes, là où les particules s’envolent en l’air, où l’âme se laisse transporter.
Chaconne de Vitali Version intimiste et vibrante avec piano!
"Quelque part, dans la pénombre d’un salon, d’une bibliothèque, dans l’inertie d’une nuit d’hiver sans fin, la respiration vibrante et électrique d’un violon en éruption. Un instrument énergique et compulsif qui déchaîne les particules de poussière endormies dans la préciosité silencieuse de mes livres. Partout autour, des photographies noir et blanc, des bibelots épars et des objets sans âge, d’où, subrepticement surgit une lamentation infaillible, une plainte, une passion agonisante qui se dissout dans mes oreilles et meure d’une langueur sans nom avec une délicatesse étourdissante.
L’âme se fracture, l’émotion se cristallise, le cœur tressaille.
Le violon de Sarah Chang joue la chaconne de Vitali !
Son violon s’envole comme sur les ailes de la passion, pendant que certaines trilles me dévorent le bas-ventre, me figent les doigts, me pétrifient littéralement. Le souffle coupé, je laisse la voix du violon me parcourir intensément dans un ultime soubresaut chaotique. Le piano alerte du début nous parle d’un monde réel, d’un univers tangible qui glisse peu à peu dans cette brèche que le violon semble décrire et façonner.
Au début, le violon semble trop enfermé dans son univers confiné et recherche une oreille attentive, un autre cœur pour s’épancher, une âme qui le délivrerait de son enfermement. Par instant, le violon virevoltant de Sarah Chang m’entrouvre une possibilité comme au tout début du morceau mais l’appel de cette sirène intérieure a été bien plus fort, bien plus violent, bien plus séducteur. C’est une chimère ! La voix de Sarah Chang, son violon, est comme un baiser, une caresse, une passion dévorante. Je me laisse saisir, happé dans cette étrange communion sentimentale et physique. J’encaisse avec une certaine incompréhension cette ténébreuse lumière. Le hoquet de sa musique m’emmène dans une dimension complètement hors du monde, à la limite du réel. Les émotions s’entrechoquent, les idées s’écrasent, se percutent et se répercutent dans tout mon être. Ses derniers coups d’archet sont comme un souffle ultime avant le grand voyage vers l’au-delà. Une dernière vision de beauté avant l’extinction des feux ! Une délivrance insoupçonnée, un retour à la réalité…"
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Voilà, j’ai ressenti le besoin d’écrire cette note ce soir, de partager ce moment de fébrilité, avant de continuer sur la série « L’âme des instruments » un peu plus tard avec un autre instrument que j’aime… J’espère que vous apprécierez son aspect brut, instantané et rugueux. Cette version accompagnée au piano est bien plus belle musicalement que sa version avec orchestre (visible ci-dessous) même si la qualité vidéo est relativement pauvre.
Version avec orchestre : certains passages sont sublimes! (surtout dans la seconde moitié)
Isolez-vous pour écouter ce morceau, soyez seuls, dans la nuit, que personne ne vienne vous déranger à l’écoute de ce morceau, vous ressentirez les palpitations du Cœur qui est l’âme du violon (comme je le disais dans ma dernière note) et contre laquelle le piano s’oppose magistralement pour en laisser ressortir toute la lumière et les ombres.
Je vous souhaite une très bonne nuit et une bonne écoute.
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